IL faut se rappeler ce que fut l’activité du Pandhit Nehru pendant les mois qui suivirent. À peine de retour à New Delhi, il avait mobilisé sa diplomatie pour obtenir, rapidement, des entrevues avec les chefs d’État les plus importants du monde. Il se rendit d’abord aux Etats-Unis. Il devait commencer par là. Il eut deux entretiens avec Eisenhower, puis se rendit en Russie où il fut reçu par Boulganine et Khrouchtchev, en Chine où il rencontra Mao, en Europe où il vit le chancelier Adenauer, Sa Majesté Elisabeth II et le président Coty. Il se rendit secrètement à Colombey pour rencontrer de Gaulle. On se souvient de ces déplacements du Premier ministre indien. Les journaux et la télévision le montraient toujours dans les mêmes attitudes, souriant en serrant la main d’un chef d’État – Khrouchtchev l’embrassa – ou souriant en descendant de son avion. Ce fut à cette époque que les journalistes le surnommèrent l’homme-à-la-rose, à cause de la fleur qu’il portait toujours à la boutonnière de sa tunique, et aussi pour lui manifester la sympathie des peuples du monde entier. Tout le monde pensait, en effet, que ses voyages avaient pour but de combattre la guerre froide et d’aider à sa liquidation. Il fit tout pour le laisser croire, et peut-être d’ailleurs s’y employa-t-il, mais l’objet réel de ses rencontres était plus important, si important qu’il obtint d’hommes aussi opposés que Mao, Eisenhower et Khrouchtchev une approbation immédiate des décisions qu’il était venu leur soumettre.

Les propositions de Shri Bahanba ne pouvaient avoir d’efficacité que si elles étaient réalisées dans le secret le plus absolu, un secret de pierre et de plomb. Nehru l’obtint. Chacun de ses interlocuteurs comprit quelles seraient les conséquences de la moindre indiscrétion. Chacun comprit également que le plan Bahanba exigeait une collaboration totale et sans réticence de tous les hommes à qui Nehru était venu la demander.

Une troisième condition de réussite était l’extrême urgence des mesures à prendre. Elles commencèrent à être appliquées dès le passage de Nehru dans les différentes capitales. Dans la semaine qui suivit sa visite à Eisenhower, la Maison Blanche publia un communiqué annonçant que, devant les craintes manifestées par les gouvernements japonais et canadien, et bien que ces craintes ne fussent pas justifiées, l’état-major américain renonçait à expérimenter la bombe nucléaire souterraine à grande puissance qui aurait dû exploser le prochain mois dans une île de l’archipel des Aléoutiennes.

Cette décision était la clef du plan Bahanba, et en rendait l’exécution possible. Ce plan n’avait cependant rien à voir avec la guerre, froide ou chaude, ni avec les expériences atomiques.

Deux des fusées américaines braquées en permanence vers la Russie se virent désigner un nouvel objectif. Après le passage de Nehru à Moscou, deux fusées russes furent pointées vers le même but. Et quelques années plus tard, dès que la première fusée chinoise à longue portée fut prête à prendre son vol, elle reçut la même destination éventuelle.

C’est après ces voyages de Nehru, dès 1955, que fut installée, entre Moscou et Washington, la liaison directe qui ne fut révélée que sous la présidence de Kennedy et à laquelle on donna le nom de « téléphone rouge ». Une liaison identique, qui resta secrète, fut établie entre Moscou et Pékin et Pékin et Washington.

Le chef de chacune de ces trois grandes nations était toujours prêt, dès la moindre menace, à mettre en marche contre les deux autres toute sa puissance guerrière et à précipiter le monde dans l’enfer, mais ce que Nehru était venu dire à tous était si grave, qu’à ce niveau de peur et d’espoir les antagonismes nationaux et idéologiques ne pouvaient pas subsister.

Les services secrets qui étaient sur l’affaire depuis l’entrevue de Bombay reçurent l’ordre d’en référer désormais directement à leur chef d’État. Ils furent fréquemment utilisés pour des opérations de détail dont ils ne connaissaient pas la signification. Ils se combattirent ou collaborèrent sans savoir pourquoi. Certains agents furent liquidés pour avoir frôlé de trop près, sinon la vérité, du moins le secret. Aux États-Unis, la Maffia elle-même servit plusieurs fois d’instrument et envoya jusqu’en Europe des commandos qui croyaient travailler uniquement pour la « cosa nostra ». Jamais, d’ailleurs, le sens de l’expression « chose nôtre » ne fut si pleinement justifié.

Les visites entre chefs d’États ne s’improvisent pas aussi vite qu’entre cousins. Bien qu’il bousculât autant qu’il pût les protocoles, Nehru ne termina les siennes qu’au mois de novembre 1955. Quand il revint définitivement à New Delhi, il restait habité par une anxiété qui ne le quitta plus jusqu’à sa mort.

À chacun de ses voyages, un avion accompagna le sien, se posa après le sien et repartit avec lui. Personne n’en vit jamais descendre aucun passager. En revanche, dans chaque pays, un ou plusieurs visiteurs montèrent à bord et redescendirent plusieurs heures après, l’air soucieux, ou très grave, ou effaré, gardant dans leur esprit l’image d’un papillon brun taché de bleu.

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